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L’exploitation non réglementée des forêts tropicales du bassin du Congo menace de compromettre les moyens de subsistance de millions de foyers dans la région, de renforcer les réseaux transnationaux du crime organisé ainsi que d’accélérer considérablement le réchauffement climatique.
Points saillants
- La dégradation rapide des forêts tropicales du bassin du Congo menace les moyens de subsistance de millions de personnes dépendant des ressources de ces forêts, ainsi que le rôle régulateur qu’elles jouent dans le cycle des pluies de l’Afrique et le processus de séquestration du carbone.
- La faiblesse de la gestion forestière renforce les réseaux transnationaux du crime organisé et les groupes militants armés qui jouent un rôle de plus en plus central dans l’extraction des ressources du bassin du Congo.
- L’exploitation forestière, l’exploitation minière et le commerce illicite d’espèces sauvages dans le bassin du Congo sont rendus possibles par la complicité de hauts fonctionnaires qui tirent profit de leurs fonctions de supervision de la gestion de ces ressources nationales.
- L’amélioration de la gestion et de la protection des forêts tropicales du bassin du Congo nécessitera une meilleure connaissance du domaine forestier ainsi qu’un réalignement des incitations pour les communautés locales, les fonctionnaires et les intérêts internationaux en matière d’exploitation forestière.
Surnommé le « deuxième poumon » de la planète, le bassin du Congo est l’une des régions forestières les plus vitales de la planète. Comprenant près de 200 millions d’hectares de forêt tropicale dense et de sols de marais tourbeux, le bassin du Congo absorbe plus de dioxyde de carbone que n’importe quelle autre région du monde. Son absorption annuelle nette de dioxyde de carbone est six fois supérieure à celle de la forêt amazonienne1. Le bassin du Congo est un trésor inestimable non seulement pour les six pays qui abritent la majeure partie de la forêt – le Cameroun, la République centrafricaine (RCA), la République démocratique du Congo (RDC), la Guinée équatoriale, le Gabon et la République du Congo – mais aussi pour l’Afrique et le monde entier. Sans un bassin du Congo intact, les efforts visant à atténuer le réchauffement climatique et ses nombreux effets secondaires extrêmes resteront vains.
Pourtant, on estime que les forêts du bassin du Congo diminuent de 1 à 5 % par an et que 30 % de la couverture forestière a disparu depuis 2001, en grande partie à cause de l’exploitation commerciale et minière non réglementée2. La dégradation annuelle de la forêt tropicale de la RDC entraîne à elle seule des émissions de carbone équivalentes à celles de 50 centrales électriques au charbon fonctionnant pendant une année entière3. Ces chiffres peuvent être largement sous-estimés, car l’imagerie satellitaire et la surveillance sur le terrain sont actuellement insuffisantes pour établir une base de référence fiable. Ce que l’on sait, c’est que 50 millions d’hectares (soit un quart des forêts tropicales du bassin du Congo) font déjà l’objet de concessions d’exploitation forestière. On estime que l’exploitation illégale des forêts et le commerce associé (en ang. illegal logging and associated trade ou ILAT), résultant du pillage des précieuses ressources forestières de la région, coûtent 17 milliards de dollars par an au continent4.
Sans un bassin du Congo intact, les efforts visant à atténuer le réchauffement climatique et ses nombreux effets secondaires extrêmes resteront vains.
Les espèces de bois dur rares et de grande valeur du bassin du Congo font l’objet d’une demande mondiale particulièrement forte. L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime rapporte que la part de l’Afrique dans les exportations de bois de rose vers la Chine est passée de 40 % en 2008 à 90 % en 2018. La Chine est le plus grand importateur mondial de bois exploité illégalement5.
Le secteur forestier de la RDC représente 9 % de son PIB et on estime que 300 000 à 500 000 personnes dans le pays dépendent des forêts pour leur subsistance. Jusqu’à 55 millions de personnes dans la région tirent des avantages économiques des forêts. Cependant, en raison de la corruption, les communautés locales ne perçoivent souvent qu’une infime partie des bénéfices financiers de cette extraction.
L’exploitation forestière illégale menace également les 30 milliards de tonnes de carbone stockées dans le bassin du Congo, soit l’équivalent de trois années d’émissions mondiales de combustibles fossiles6. La valeur annuelle de la séquestration du carbone dans les forêts tropicales du bassin du Congo est estimée à 55 milliards de dollars, soit plus d’un tiers du PIB de la région7. Avec environ 10 000 espèces de plantes tropicales – dont 30 % sont uniquement présentes dans la région – le bassin du Congo revêt également une importance extraordinaire pour la biodiversité mondiale.
La pression sur les forêts du bassin du Congo est encore exacerbée par le commerce illégal d’espèces sauvages et l’exploitation minière illégale, notamment en raison des fortes concentrations de cobalt et de coltan.
Compte tenu de la grande valeur des flux de revenus, de la faible gestion des forêts et de la surveillance laxiste des gouvernements dans ces secteurs, les réseaux transnationaux du crime organisé et les groupes militants armés jouent un rôle de plus en plus central dans l’extraction des ressources dans le bassin du Congo. Cette situation constitue une menace croissante pour la sécurité et l’économie de la région.
Les menaces qui pèsent sur cette région écologiquement essentielle auront à leur tour un impact négatif sur la régulation du cycle de l’eau du continent et sur l’atmosphère de la planète, faisant du bassin du Congo un épicentre des efforts de stabilisation régionaux et mondiaux.
Une ressource vitale
La région et ses forêts marécageuses absorbent 370 millions de tonnes d’émissions de carbone par an, ce qui en fait le plus important puits de carbone terrestre au monde.
Les forêts tropicales du bassin du Congo représentent environ 70 % de la couverture forestière de l’Afrique8. La région et ses forêts marécageuses absorbent 370 millions de tonnes d’émissions de carbone par an, ce qui en fait le plus important puits de carbone terrestre au monde. Les écosystèmes des tourbières comptent parmi les plus efficaces et les plus importants pour lutter contre le changement climatique.
Les quelques études menées dans le bassin du Congo indiquent que la région régule fortement les schémas de précipitations régionaux9. Elle est notamment à l’origine de 17 % de l’humidité de l’Afrique de l’Ouest (dont le Sahel) et de 30 à 40 % des précipitations annuelles sur les hauts plateaux éthiopiens10. L’appauvrissement de ces forêts met en péril ce service de « pompe à eau » que le bassin du Congo fournit au continent. Concrètement, la survie du Nil dépend de la santé des forêts tropicales du bassin du Congo. Des études sur la forêt amazonienne, plus largement étudiée, mettent en garde contre une « savanisation » résultant de la perte de la couverture forestière et de ses capacités de rétention d’eau.
Le bassin du Congo est l’un des plus grands écosystèmes forestiers inexplorés au monde, avec une riche diversité de plus de 400 espèces de mammifères (dont des éléphants de forêt, des rhinocéros, des hippopotames, des girafes, des bonobos et des gorilles), 1 000 espèces d’oiseaux et 700 espèces de poissons11. Les forêts du bassin servent de système de filtration naturel pour les eaux du fleuve Congo, les rendant ainsi propres à la consommation humaine12. De nombreuses espèces végétales de la région ont été utilisées à des fins médicinales et font l’objet d’études en vue d’applications plus larges pour le traitement de divers types de cancer et de maladies inflammatoires13.
L’importance du bassin du Congo étant de plus en plus reconnue, les gouvernements de la région ont accordé un statut de protection à environ 22,6 millions d’hectares de forêt tropicale en Afrique centrale, ce qui équivaut à 14 % de sa superficie14. Bien qu’il s’agisse d’un début important, il reste encore beaucoup à faire pour sauvegarder les avantages naturels et économiques uniques de la région.
La nécessité d’une base de connaissances et d’un suivi plus solides
Une meilleure information est essentielle pour toute politique efficace de gestion forestière et de conservation des écosystèmes visant à protéger la forêt tropicale du bassin du Congo. Des recherches supplémentaires sont nécessaires afin de mieux documenter l’étendue de la couverture forestière et la dégradation des forêts, ainsi que pour quantifier plus précisément la contribution de ces zones boisées aux flux mondiaux de carbone et leur rôle dans d’autres défis climatiques.
Des progrès ont été réalisés dans ce domaine. La nouvelle génération de technologies satellitaires s’avère être une source de données précieuse pour la surveillance à grande échelle des forêts tropicales qui sont souvent difficiles d’accès15. Les données d’inventaire de nombreuses concessions forestières ont récemment été utilisées pour fournir un résumé de leur diversité fonctionnelle. Par ailleurs, l’inauguration en 2020 de la première tour à flux (pour mesurer les échanges de gaz à effet de serre) dans le bassin du Congo est de bon augure pour une meilleure compréhension des flux de carbone dans les forêts. La disponibilité d’images satellites pour la région reste cependant limitée.
La nécessité d’observations sur le terrain limite en outre la cartographie de la distribution spatiale des stocks de carbone forestier à l’échelle du bassin. Le suivi des ressources forestières nécessite la collecte régulière d’informations sur l’attribution des forêts, l’exploitation, le transport, la transformation et le commerce de ces ressources ou de leurs produits. Les mesures sur le terrain étant coûteuses, seules les données d’inventaire des concessions forestières (appartenant à des entreprises privées) sont disponibles, ne reflétant qu’une partie du potentiel réel des forêts et de la biomasse du bassin du Congo.
Le suivi des ressources forestières nécessite la collecte régulière d’informations sur l’attribution des forêts, l’exploitation, le transport, la transformation et le commerce de ces ressources ou de leurs produits.
Avec le soutien d’organisations internationales, dont l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le cadre de réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts (Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation ou REDD+) a renforcé les systèmes de surveillance des forêts dans les pays du bassin du Congo. Cela inclut des fonctions de mesurage, de rapportage et de vérification (MRV) pour produire des données fiables et de haute qualité sur les forêts et des estimations du carbone forestier.
Bien que les processus susmentionnés aient renforcé la base empirique dans les pays du bassin du Congo, un renforcement des capacités est nécessaire pour la collecte et l’intégration des données disponibles afin de déclencher des décisions d’intervention en temps réel.
Protéger les droits et les moyens de subsistance des communautés
Dans le contexte de l’Afrique centrale, toutes les terres appartiennent à l’État. Les politiques de gestion forestière sont conçues et mises en œuvre par les gouvernements en étroite collaboration avec de multiples acteurs. Les gouvernements nationaux tirent des revenus de l’exploitation forestière par le biais de taxes à différents points de la chaîne d’approvisionnement, depuis l’attribution des concessions forestières jusqu’aux opérations d’exploitation et au commerce du bois.
Les droits d’utilisation des ressources forestières sont principalement basés sur les considérations suivantes16 :
- Location/concessions : certains pays possèdent tous les terrains mais les louent par le biais de concessions.
- Régime foncier : dans de nombreux pays, les communautés locales peuvent avoir certains droits d’utilisation des terres, mais la reconnaissance de l’ensemble de ces droits fait défaut. Cela peut entraîner une certaine confusion et des revendications concurrentes de la part de différents acteurs sur le même terrain.
Dans les pays du bassin du Congo, les peuples autochtones et les communautés locales (PACL) ne bénéficient que de droits coutumiers. Les droits coutumiers permettent aux PACL de gérer les terres acquises par leurs ancêtres. Ce type de terres est contrôlé par le chef, qui travaille au nom des communautés. Les droits coutumiers incluent le droit de préemption : le droit d’être consulté en premier avant toute décision de l’État de transférer la terre à un tiers.
La redistribution inéquitable de ces revenus par les gouvernements est souvent un point de tension avec les communautés locales. Parfois, cela se traduit par des incidents violents entre les communautés locales et les exploitants forestiers commerciaux.
Ces dispositions placent toutefois les PACL dans une position désavantageuse, car l’allocation des recettes fiscales provenant des opérations d’exploitation forestière s’aligne sur les droits statutaires sur les terres et les zones contrôlées par l’État. La redistribution inéquitable de ces revenus par les gouvernements est souvent un point de tension avec les communautés locales. Parfois, cela se traduit par des incidents violents entre les communautés locales et les exploitants forestiers commerciaux17.
Ce processus pose des problèmes supplémentaires pour les populations autochtones dont la notion de développement est très différente de celle de l’application légale du droit foncier. En effet, le type de développement décrit de manière générale dans la loi est pratiquement inapplicable pour les peuples indigènes car ils ne construisent pas de structures durables et sont nomades, se déplaçant d’un endroit à l’autre.
Un système de redistribution des revenus générés par la gestion des ressources forestières, en particulier du bois, ne sera efficace et durable que s’il inclut la reconnaissance du droit de première propriété des PACL et une délimitation et une application transparentes des quotas pour les différents bénéficiaires. Dans le cas contraire, on risque d’assister à un effet boomerang, les parties lésées devenant des pilleurs de ressources forestières à la recherche d’un moyen de survie.
L’émergence du processus REDD+ a donné beaucoup plus d’importance à la question d’un partage plus équitable des bénéfices au cours des dernières années. Cependant, les utilisations concurrentes des ressources forestières nécessiteront une planification intersectorielle de l’utilisation des terres. La mise en place de plans nationaux d’utilisation des terres dans les pays du bassin du Congo permettrait de coordonner les différents secteurs afin d’éviter les conflits d’utilisation et de protéger les moyens de subsistance des populations locales.
Exploitation forestière illégale, trafic d’espèces sauvages et exploitation minière
Malgré des efforts considérables pour améliorer l’application des lois forestières, la gouvernance et le commerce dans les pays du bassin du Congo, l’illégalité persiste tout au long de la chaîne d’approvisionnement en bois. Certains rapports affirment que 90 % du bois provenant des forêts tropicales du bassin du Congo pourrait provenir de sources illégales et être facilité par la grande criminalité18. Cela est dû à une combinaison de facteurs tels que le manque de personnel, une mauvaise coordination entre les différentes agences d’application de la loi (par exemple, les douanes) et des informations insuffisantes sur les principaux domaines d’illégalité dans la chaîne d’approvisionnement19.
Cela souligne l’importance des systèmes de gestion forestière pour suivre systématiquement le bois et ses sous-produits. Dans tous les pays du bassin du Congo, la loi fournit des lignes directrices sur la traçabilité tout au long de la chaîne d’approvisionnement – de la forêt à l’exportation – pour l’exploitation forestière industrielle et artisanale20. Les gouvernements mettent en œuvre des systèmes d’assurance de la légalité du bois, la collecte des revenus, la traçabilité et d’autres fonctions par le biais de systèmes complets de gestion de l’information sur le bois et les forêts. Les systèmes de gestion de l’information et de traçabilité sont tous obligatoires mais sont déployés à différents niveaux de sophistication dans chaque pays.
Au Cameroun, le gouvernement a développé le premier système informatisé de gestion de l’information forestière (SIGIF) en 1998 pour faciliter la gestion des permis d’exploitation forestière. Cependant, il doit encore inclure le système parallèle de traçabilité du bois sur papier. Depuis 2020, le gouvernement déploie un système de traçabilité obligatoire intégré dans un SIGIF de deuxième génération (SIGIF 2).
En RDC, le gouvernement a mis en place de nombreux systèmes informatisés de traçabilité du bois depuis qu’il a entamé des négociations avec l’Union européenne (UE) sur l’Accord de partenariat volontaire sur l’application des réglementations forestières, la gouvernance et les échanges commerciaux (APV FLEGT) en 2010. Entre 2013 et 2015, ces négociations ont abouti au développement d’un SIGIF public et d’une plateforme de gestion de la légalité et de la traçabilité du bois (TRABOIS). Bien que ces systèmes soient obligatoires, ils ne sont pas opérationnels.
En Guinée équatoriale, le gouvernement a adopté le suivi du bois comme l’un des mécanismes stratégiques visant à garantir que les ressources forestières nationales sont exploitées de manière rationnelle afin de fournir des recettes fiscales durables et des opportunités de développement socio-économique tout en empêchant la dégradation des ressources.
En République du Congo, après la signature de l’APV FLEGT avec l’UE en 2010, le gouvernement a développé un système informatisé de vérification de la légalité (SIVL) pour lutter contre l’exploitation forestière illégale, qui a été identifiée comme l’un des problèmes critiques ayant un impact sur son secteur forestier. Bien que les modules nécessaires soient développés et intégrés dans le centre de données du ministère des Finances et du budget, le système n’est pas encore opérationnel.
En République centrafricaine, le gouvernement a conçu un système d’approvisionnement en bois d’œuvre spécialisé. Ce système comprend des éléments de traçabilité pour suivre le bois tout au long de la chaîne d’approvisionnement—de la récolte à l’exportation—ainsi que des outils de conformité et d’informatisation pour un accès et un contrôle en temps réel. Cependant, ce système doit encore être développé et déployé.
De nombreux pays du bassin du Congo ne disposent toujours pas de systèmes de traçabilité opérationnels, ce qui les empêche de contrôler et de surveiller efficacement le commerce du bois, de la récolte à la commercialisation finale dans le pays ou à l’exportation
Plusieurs autres pays du bassin du Congo ont mis en place des systèmes d’observation des forêts pour soutenir la transparence dans le cadre des APV FLEGT signés avec l’UE pour réduire le flux de bois illicite et non durable vers l’Europe.
Malgré ces accords et ces modules, de nombreux pays du bassin du Congo ne disposent toujours pas de systèmes de traçabilité opérationnels, ce qui les empêche de contrôler et de surveiller efficacement le commerce du bois, de la récolte à la commercialisation finale dans le pays ou à l’exportation. Les principaux obstacles sont l’acquisition et l’installation des équipements nécessaires, la formation des acteurs et des parties prenantes, et le fait de vaincre les hésitations et la résistance des opérateurs du secteur du bois face à des coûts supplémentaires sans que l’on perçoive une amélioration de l’efficacité.
Le système de traçabilité du bois développé par l’Agence des services forestiers de Tanzanie constitue un modèle pratique, rentable et évolutif qui peut être reproduit dans la région du bassin du Congo. Le système est facilement accessible via des appareils mobiles programmés avec des options de sélection pré-personnalisées, ce qui réduit l’erreur humaine. Il garantit le suivi de la chaîne de contrôle en permettant aux contrôleurs d’accéder aux rapports d’inspection d’autres points de contrôle. Il permet également l’accès aux données en temps réel au siège niveau central afin de renforcer le contrôle, d’encourager la vigilance et de maintenir une base de données de qualité.
Coordination des agences d’application de la loi et partage d’informations
On dit souvent que l’information c’est le pouvoir. En matière d’information, les membres du crime organisé pratiquant l’exploitation illégale des forêts et le commerce associé dans le bassin du Congo ont généralement une longueur d’avance sur les responsables politiques et les agents d’application de la loi. Pour lutter contre l’exploitation illégale des forêts et le commerce associé, la collecte, la gestion et l’utilisation de l’information sont essentielles. Les criminels ont développé des systèmes d’information efficaces en s’appuyant sur un réseau d’informateurs sur le terrain, travaillant en coopération et exploitant les lacunes des cadres réglementaires.
La lutte contre les réseaux criminels établis nécessite une coordination et des échanges d’informations cohérents et de qualité entre les personnes chargées de faire respecter la loi dans un pays, ainsi qu’entre les homologues transfrontaliers pour traiter les questions de sécurité entre les pays. Concrètement, cette coordination interagence et intergouvernementale, qui permet de partager les connaissances et de résoudre les problèmes, repose souvent sur des relations solides plutôt que sur des mécanismes formels.
Système TWIX : Connecter les autorités nationales chargées de l’application de la loi en Europe et en Afrique
Environ 3 000 agents chargés de l’application de la loi et de la gestion en Europe et en Afrique sont actuellement connectés à la plateforme Trade in Wildlife Information eXchange (TWIX).
Dirigée par la Commission des forêts d’Afrique centrale (COMIFAC), AFRICA-TWIX a été créé en 2016. Associé à EU-TWIX (Union Européenne) (2005), à SADC-TWIX (Communauté de développement de l’Afrique australe) (2019) et East Africa-TWIX (Afrique de l’Est) (2020), le réseau TWIX fournit des outils en ligne conçus pour faciliter l’échange d’informations et la coopération internationale entre les organismes chargés de l’application de la loi dans la lutte contre le commerce illégal d’espèces sauvages à travers l’Europe et l’Afrique.
L’intérêt pour cet outil a conduit à son déploiement actuel en Afrique de l’Ouest et à une demande de l’Asie.
La facilitation d’une communication régulière entre les instances internationales chargées de l’application de la loi s’est avérée très efficace pour aider à démanteler les réseaux transnationaux de contrebande – un effort qui devra être soutenu par tous les pays participants si l’on veut que les effets se fassent pleinement ressentir.
Afin de coordonner les efforts et les informations entre ses pays membres, la COMIFAC a mis en place de nombreux groupes de travail pour traiter des questions urgentes affectant la sous-région. Il s’agit notamment des groupes de travail sur la Convention de lutte contre la désertification (GTCLD), le changement climatique (GTCC), la biodiversité en Afrique centrale (GTBAC), les aires protégées et la faune sauvage (SGTAPFS) et la gouvernance forestière (GTGF). C’est au sein de ce dernier que se déroulent toutes les discussions relatives à la gouvernance forestière, à l’exploitation illégale des forêts et au commerce associé ainsi qu’à d’autres questions connexes. Les réunions se déroulent en face à face, sur une base trimestrielle ou semestrielle, dans le but d’établir des relations de confiance.
En matière d’information, les membres du crime organisé pratiquant l’exploitation illégale des forêts et le commerce associé dans le bassin du Congo ont généralement une longueur d’avance sur les responsables politiques et les forces de l’ordreagents d’application de la loi.
La plateforme AFRICA-TWIX, comme les autres systèmes TWIX, relie les agents chargés de l’application de la loi entre eux (via des listes de diffusion) et à des bases de données confidentielles comprenant, entre autres, des outils d’identification des espèces sauvages, des textes juridiques des pays membres de la plateforme, du matériel de formation et une base de données sur les saisies d’espèces sauvages.
Lancée en 2016, cette plateforme a joué un rôle crucial dans la coordination des actions sur le terrain, reliant neuf pays : le Burundi, le Cameroun, la RCA, le Tchad, la RDC, la Guinée équatoriale, le Gabon, la République du Congo et le Rwanda. Plus de 500 agents des services chargés de l’application de la loi sont présents sur cette plateforme, y compris le personnel d’organisations spécialisées telles que l’Organisation mondiale des douanes (OMD), l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et l’Organisation internationale de police criminelle (INTERPOL).
Le travail de collaboration de ces fonctionnaires, recrutés à la fois au niveau central et sur le terrain, a déclenché 13 enquêtes internationales sur des crimes contre les espèces sauvages. La coordination des efforts et l’échange d’informations en temps réel sont le début d’une solution à la lutte contre l’exploitation illégale des forêts et son commerce associé.
Une lutte contre la corruption
Les pays dotés de ressources naturelles abondantes sont souvent confrontés à une corruption endémique et à une faible redevabilité. Cela s’explique par le fait que les ressources naturelles constituent une source de revenus facile à exploiter, dont les fonctionnaires peuvent contrôler l’accès, ce qui leur permet d’en tirer profit et d’en faire profiter à leurs partenaires commerciaux. Ces fonctionnaires, à leur tour, ne sont guère incités à renforcer les mécanismes de contrôle et d’application, ce qui permet au cycle d’exploitation des ressources naturelles, d’enrichissement personnel et d’impunité politique de devenir progressivement plus puissant.
Des enquêtes menées en République du Congo ont révélé que des entreprises du secteur du bois soudoient régulièrement des ministres et d’autres hauts fonctionnaires afin d’obtenir illégalement des concessions forestières, d’éviter les sanctions pour surexploitation et d’exporter au-delà des quotas21. En RDC également, le gouvernement a révélé que de nombreuses concessions forestières avaient été attribuées par le biais d’un trafic d’influence, en violation des lois du pays22. La société d’exploitation forestière Congo King Baisheng Forestry Development, détenue par la société chinoise Wan Peng International, figure parmi les principaux contrevenants.
Les structures opaques des entreprises et les juridictions secrètes, notamment à Hong Kong et à Dubaï, facilitent également la déforestation dans la région en permettant aux entreprises de dissimuler leurs propriétaires réels et d’échapper aux impôts et à la réglementation23.
L’économie politique illicite qui entoure l’exploitation forestière dans le bassin du Congo est bien ancrée. Au Cameroun, par exemple, le ministère des Forêts et de la Faune est classé parmi les 10 agences gouvernementales les plus corrompues sur les 150 que compte le pays. Le Cameroun, quant à lui, est mieux classé dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International que presque tous les autres pays de la région du bassin du Congo. La région dans son ensemble a un classement médian de 157 (sur 180 pays). La crise de la corruption dans la région est donc au cœur de l’exploitation illégale des forêts du bassin du Congo.
Ces fonctionnaires, à leur tour, ne sont guère incités à renforcer les mécanismes de contrôle et d’application, ce qui permet au cycle d’exploitation des ressources naturelles, d’enrichissement personnel et d’impunité politique de devenir progressivement plus puissant.
Les communautés locales et les groupes autochtones sont particulièrement vulnérables à la corruption dans les forêts du bassin du Congo. Qu’il s’agisse de fonctionnaires acceptant des pots-de-vin ou de la collusion des secteurs privé et public sur des contrats d’extraction de ressources opaques, la corruption provoque la dégradation de l’environnement et détruit les moyens de subsistance locaux. Des progrès concrets en matière de protection de l’environnement dépendront d’une plus grande transparence et d’un contrôle indépendant.
L’exploitation forestière illicite est également fatale pour les défenseurs de l’environnement du monde entier24. Les journalistes spécialisés dans l’environnement sont fréquemment harcelés, agressés et tués, ce qui en fait le domaine journalistique le plus dangereux après les reportages de guerre. Cette situation met en évidence les réseaux criminels qui se cachent souvent derrière l’exploitation des forêts tropicales. Des enquêtes montrent que 70 % des journalistes environnementaux ont été attaqués pour leur travail25. Pourtant, ce n’est qu’en enquêtant et en dénonçant les violations de l’environnement (et la collusion des fonctionnaires qui va souvent de pair) que les citoyens peuvent être informés de ces activités illégales et de la manière dont les ressources publiques sont détournées. Pour atteindre les objectifs mondiaux en matière de climat et de biodiversité, il faudra s’attaquer à l’hydre (au nœud) de la corruption26.
Dans la plupart des pays, il existe des unités nationales de lutte contre la corruption, mais elles sont rarement appliquées. Parfois, les enquêteurs peuvent suivre les activités de corruption impliquant l’exploitation forestière illégale sur le terrain, les signaler et les transmettre au procureur général pour qu’il engage des poursuites pénales. Cependant, peu d’affaires aboutissent à des condamnations en raison de l’influence politique des fonctionnaires qui sont de connivence avec les activités d’exploitation forestière illicite.
Les ministères des forêts des pays du bassin du Congo collaborent de plus en plus avec des associations commerciales étrangères telles que la China Wood and Timber Product Distribution Association (CTWPDA) afin de faire respecter des normes visant à améliorer la transparence et la légalité de leur extraction de ressources forestières en Afrique centrale. Ces accords soumettront également les entreprises étrangères à des sanctions en cas d’infraction.
Bien que la plupart des pays du bassin du Congo aient désormais mis en place les cadres juridiques nécessaires pour lutter contre la corruption, des efforts supplémentaires sont nécessaires pour en garantir leur application. Il faudra pour cela adopter des sanctions sévères pour la corruption liée à l’exploitation forestière illégale, ce qui réduira l’impunité dont jouissent actuellement les hauts fonctionnaires complices.
Actions prioritaires nécessaires
Le commerce du bois dans le bassin du Congo est une source essentielle de revenus, qui fait partie intégrante des économies nationales et qui fait vivre les communautés locales. Garantir la production et la consommation durables de bois dans le bassin du Congo est un élément essentiel de toute réforme. Pourtant, la demande croissante de bois tropicaux (principalement en provenance d’Asie, mais aussi d’Europe et d’Amérique), exacerbée par la corruption, la mauvaise gestion des ressources et l’inefficacité de la réglementation, fait qu’il est trop facile pour les criminels de récolter et de commercialiser illégalement du bois menacé.
Les nombreuses lacunes dans la protection actuelle des ressources forestières du bassin du Congo soulignent que seule une approche holistique et à plusieurs niveaux peut remédier à l’exploitation non réglementée et non durable des richesses naturelles inestimables du bassin du Congo.
Au niveau national
Améliorer la connaissance du domaine forestier. Une condition préalable à la protection et à la gestion des précieuses forêts et tourbières du bassin du Congo est d’établir des bases fiables d’inventaires forestiers dans toute la région. L’Observatoire des forêts d’Afrique centrale, le bras scientifique de la COMIFAC, a pris la tête de ce processus. Il devra être soutenu par une imagerie satellitaire supplémentaire (en s’appuyant sur les efforts des États-Unis et du World Resources Institute) ainsi que par la formation de réseaux de gardes forestiers et d’ONG capables de mener des évaluations sur le terrain afin de générer des inventaires forestiers fiables pour chaque pays de la région.
Développer des plans globaux d’utilisation des terres. Bien qu’une connaissance détaillée des ressources forestières de la région soit une base essentielle, un plan global d’utilisation des terres est nécessaire pour gérer durablement les nombreux intérêts concurrents de ces terres afin de protéger à long terme les forêts du bassin du Congo. Ce plan doit être soutenu par des cadres juridiques nationaux solides et par une mise en œuvre fiable des politiques nationales d’aménagement du territoire, secteur par secteur, afin d’éviter les litiges fonciers.
La mise en place de plans nationaux d’utilisation des terres dans les pays du bassin du Congo permettrait de coordonner les différents secteurs afin d’éviter les conflits d’utilisation et de protéger les moyens de subsistance des populations locales.
Permettre et rendre opérationnels les systèmes de traçabilité. La vérification de la légalité du bois et le suivi des revenus provenant de sources forestières légitimes sont des outils essentiels pour les agences chargées de l’application de la loi afin de protéger les ressources forestières. Alors que des systèmes de traçabilité et de vérification légale sont en place dans certains pays du Bassin du Congo, l’opérationnalisation de ces systèmes dans l’ensemble de la région – potentiellement en s’inspirant du modèle tanzanien – est encore nécessaire pour éviter que des entités criminelles n’exploitent ces lacunes.
Intégrer la protection des forêts dans les stratégies de sécurité nationale. Les ressources forestières font partie des biens nationaux les plus précieux et les plus durables des pays du bassin du Congo. La sauvegarde de ces ressources doit être intégrée de manière plus centrale dans les stratégies de sécurité nationale de chaque pays. La prise en compte de cette menace non traditionnelle dans la planification et les structures des agences de sécurité facilitera le réalignement et le redéploiement des ressources de sécurité et de renseignement pour lutter contre l’exploitation illégale des forêts au détriment des citoyens.
L’économie politique illicite qui entoure l’exploitation forestière dans le bassin du Congo est bien ancrée.
Renforcer les capacités nationales en matière de lutte contre la criminalité financière. L’exploitation illégale des forêts et le commerce associé prospère dans le bassin du Congo en raison des vastes pouvoirs contrôlés par les hauts fonctionnaires responsables de la gestion de ces ressources forestières. Cela crée des incitations financières pour que ces fonctionnaires agissent à l’encontre des intérêts publiques. Pour réduire cette vulnérabilité, la chaîne d’autorité réglementaire doit être élargie au-delà d’un seul ministre ou fonctionnaire et comporter un processus d’autorisation à plusieurs niveaux supervisé par un conseil de surveillance indépendant composé d’acteurs de la société civile.
Compte tenu de l’impunité dont jouissent de nombreux hauts fonctionnaires pour leur collusion dans le cadre de l’exploitation illégale des forêts et le commerce associé et du commerce illégal d’espèces sauvages, les gouvernements du bassin du Congo pourraient également envisager de créer des tribunaux spéciaux pour la corruption, politiquement isolés, dans le cadre de leurs efforts de renforcement des capacités judiciaires pour lutter contre les crimes financiers. Ces tribunaux ainsi que d’autres composantes du système juridique (des agents chargés de l’application de la loi aux procureurs) peuvent être soutenus par des organismes régionaux tels que le Groupe d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique centrale (GABAC) et des réseaux mondiaux tels qu’INTERPOL et l’ONUDC.
Au niveau local
Développer des formules équitables de partage des bénéfices pour les communautés locales. Parce qu’elles vivent au plus près des forêts, les communautés locales sont le premier maillon de la chaîne de protection des forêts et la pierre angulaire de toute politique efficace de lutte contre l’exploitation illégale des forêts.
Les communautés locales sont également les parties prenantes du système de gestion forestière les plus menacées. Manquant d’informations et de compétences pour défendre leurs intérêts dans l’arène juridique, les communautés locales risquent d’être privées de l’accès à leurs droits coutumiers à la terre par les sociétés d’exploitation forestière ou par la collusion avec les fonctionnaires. Les paiements reçus pour renoncer à cet accès ne compensent pas la perte permanente des moyens de subsistance, des terres ancestrales et des traditions culturelles de ces communautés. Tels sont les coûts humains et économiques considérables qui accompagnent l’exploitation forestière non durable dans le bassin du Congo.
Pour contrer cette exploitation des communautés locales, les dispositions relatives aux droits coutumiers doivent occuper une place centrale dans les processus nationaux d’aménagement du territoire. Cette démarche doit s’accompagner d’une sensibilisation proactive des communautés locales à leurs droits et à des modèles alternatifs de gestion durable qui préservent les moyens de subsistance et les revenus tirés de la préservation des forêts. Les ONG nationales et internationales peuvent contribuer à ce processus en veillant à ce que les communautés locales comprennent mieux les ressources et les flux de revenus fournis par les forêts.
Pour protéger les moyens de subsistance des communautés locales, il faudra également leur assurer des flux de revenus durables afin qu’elles aient des incitations financières à coopérer à la protection de ces forêts. Outre l’intégration des communautés locales dans tout programme international d’investissement dans la conservation (voir ci-dessous), l’interdiction des concessions pour toute exploitation commerciale des « forêts communautaires » désignées, telles que les 5 000 hectares de forêt alloués aux communautés au Cameroun et dans d’autres pays du bassin du Congo, réduirait la vulnérabilité perpétuelle des communautés forestières locales face à l’exploitation.
Au niveau régional
Mettre en place un mécanisme coordonné d’échange d’informations financières dans les zones transfrontalières. Les criminels exploitent souvent les faiblesses de la sphère financière, telles que l’argent liquide ou d’autres mécanismes liés au transfert local d’importantes sommes d’argent. Cela permet également de dissimuler des activités de blanchiment d’argent. La mise en place d’une plateforme commune aux ministères en charge des forêts, des finances et des douanes de la région, sous la direction des unités nationales d’enquête financière, peut permettre de mieux suivre les revenus associés au commerce transfrontalier du bois et de s’assurer qu’ils correspondent à l’activité d’exploitation forestière enregistrée.
Étendre l’empreinte d’AFRICA-TWIX. AFRICA-TWIX a été un mécanisme efficace pour combattre l’exploitation illégale des forêts et le commerce associé et le trafic d’espèces sauvages. Une priorité pour la COMIFAC est de s’assurer que tous les pays du bassin du Congo sont pleinement opérationnels sur la plateforme AFRICA-TWIX. La principale limite à cet objectif est son financement. Cela nécessitera une formation et un soutien financier de la part des bailleurs de fonds.
La création prévue d’un TWIX-Asie en plus de l’actuel EU-TWIX facilitera grandement le partage interrégional d’informations sur l’exploitation forestière illégale et le trafic d’espèces sauvages par les autorités chargées de l’application de la loi. L’augmentation du nombre d’enquêtes criminelles et de poursuites pénales pour exploitation forestière illégale et commerce associé ainsi que pour trafic d’espèces sauvages dans le bassin du Congo augmentera les coûts des opérations d’exploitation forestière illégale et aura un effet dissuasif tangible.
Opérationnaliser une stratégie sous-régionale de lutte contre le crime organisé transnational et les flux financiers illicites. Pour mieux harmoniser les efforts des différents pays face à une menace transnationale, les gouvernements du bassin du Congo doivent rendre opérationnelle une stratégie sous-régionale de lutte contre la criminalité transnationale et les flux financiers illicites. Cette stratégie peut être menée par le secrétariat du Conseil des Chefs de Police d’Afrique Centrale (CCPAC) en consultation avec l’expertise de la Commission de la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), de la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC), de la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC) et du Groupe d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique Centrale (GABAC).
Renforcer la coopération régionale en matière de sécurité autour de l’exploitation illégale des forêts et le commerce qui y est associé ainsi que du trafic d’espèces sauvages. Les forêts du bassin du Congo sont menacées non seulement par l’exploitation forestière et minière illégale, mais aussi par des groupes armés non étatiques et des organisations extrémistes violentes qui exploitent les revenus de ces forêts, accélérant ainsi leur dégradation et renforçant la capacité de coercition de ces malfaiteurs. La lutte contre ces menaces à la sécurité nécessitera un renforcement de la coopération régionale en matière de sécurité dans le domaine de l’exploitation forestière, minière et faunique illégale.
Le Conseil de sécurité de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) facilite la coopération transfrontalière en matière de sécurité, notamment autour du complexe tri-national Dja-Odzala-Minkébé (TRIDOM), qui regroupe 11 parcs nationaux. Suite à une attaque dans le parc national de Bouba Ndjida au Cameroun qui a vu le massacre de 400 éléphants (et le vol de leur ivoire) en 2012 par des braconniers soudanais qui sont passés par le Tchad et le Nigéria27, cette coopération implique généralement de soutenir les « écogardes » et le droit de poursuite entre les pays. Cependant, les déploiements de forces de sécurité le long des frontières et dans les parcs sont épisodiques, ce qui permet aux trafiquants d’exploiter la porosité des zones frontalières.
Les groupes armés non étatiques étant de plus en plus sophistiqués, il est de plus en plus essentiel d’harmoniser les efforts et de renforcer la capacité des acteurs de la sécurité du bassin du Congo à protéger efficacement leurs intérêts nationaux communs. Il s’agit notamment de faciliter une plus grande harmonisation du secteur judiciaire. Actuellement, si un exploitant forestier illicite gabonais est capturé en République du Congo, il sera condamné à une peine plus légère que dans son pays d’origine. Alors que la CEEAC et ses partenaires internationaux cherchent à renforcer et à institutionnaliser la sécurité régionale, ils peuvent tirer des leçons du Code de conduite de Yaoundé de la CEEAC qui a établi une architecture régionale de sécurité maritime pour lutter contre la piraterie en 2013.
Au niveau international
Étendre et régulariser l’imagerie satellitaire de la région. Compte tenu de son étendue et des ressources gouvernementales limitées, le suivi et la gestion efficaces de la forêt tropicale du bassin du Congo nécessiteront une surveillance accrue et régulière par imagerie satellite afin d’évaluer les changements dans la couverture et la santé de la forêt. L’Agence gabonaise d’études et d’observations spatiales (AGEOS) produit régulièrement des images satellite de ses forêts, ce qui permet aux décideurs d’orienter leurs politiques sur une base scientifique et pratique. La fiabilité de cette imagerie satellitaire est, à son tour, devenue la base de programmes mondiaux de capture du carbone qui devraient rapporter 150 millions de dollars au Gabon. L’adoption d’une imagerie satellite régulière des forêts dans d’autres pays du bassin du Congo peut générer une observation et une évaluation en temps réel du stock de biomasse de leurs forêts.
Soutenir les programmes de financement internationaux visant à encourager la protection des actifs internationaux vitaux. Lors du sommet de Dubaï sur le climat en 2023, le Brésil a proposé l’adoption d’une Facilité pour les forêts tropicales éternelles qui rémunérerait les pays pour la protection de leurs forêts tropicales humides28. Cette facilité d’investissement vise à créer un fonds porteur d’intérêts capable de compenser de manière fiable et d’inciter financièrement les pays à conserver ces actifs mondiaux. Les centaines de millions de dollars que le fonds devrait générer année après année pour les pays du bassin du Congo constitueraient un flux de revenus durable qui soutiendrait les efforts de conservation et dépasserait les recettes générées par des concessions d’exploitation forestière ponctuelles.
Renforcer la coopération en matière de sécurité autour de l’exploitation illégale des forêts et le commerce associé ainsi que le trafic d’animaux sauvages. La coopération et le soutien des partenaires internationaux seront nécessaires pour endiguer les dimensions internationales de l’exploitation illégale des forêts et le commerce associé ainsi que le trafic d’animaux sauvages. En travaillant de manière bilatérale et en soutenant TWIX, les acteurs internationaux peuvent engager leur expertise dans la lutte contre les flux financiers illicites pour aider à surveiller et à interdire les revenus mal acquis de l’exploitation forestière illégale et du trafic d’espèces sauvages dans le bassin du Congo. Les acteurs internationaux peuvent également augmenter les coûts financiers de l’exploitation illégale des forêts et le commerce associé en sanctionnant et en gelant les comptes bancaires des trafiquants connus. Les partenaires internationaux en matière de sécurité peuvent en outre soutenir les efforts de coopération régionale en matière de sécurité en partageant leur expertise dans la lutte contre l’exploitation illégale des forêts et le commerce associé et en aidant les acteurs de la sécurité du bassin du Congo à harmoniser leurs efforts autour d’une stratégie régionale intégrée.
Denis Mahonghol possède 24 ans d’expérience dans la gouvernance forestière et la conservation en Afrique centrale. Ses principaux domaines de travail comprennent la recherche forestière, le commerce, la traçabilité et la légalité du bois, l’application des lois forestières et fauniques, le renforcement des capacités des institutions publiques en matière de prise de décision et la surveillance du commerce des espèces sauvages (flore et faune). Actuellement, M. Mahonghol est le Directeur du bureau programme de TRAFFIC International en Afrique centrale.
Notes
- ⇑ Cheick Fantamady Kanté, « Preserving the Forest of the Congo Basin : A Game Changer for Africa and the World », Africa Can End Poverty (Blog), Banque mondiale, 4 juillet 2024.
- ⇑ Marion Ferrat, Sanggeet Mithra Manirajah, Freddy Bilombo, Anna Rynearson, et Paul Dingkuhn, « Regional Assessment 2022 : Tracking Progress Towards Forest Goals in the Congo Basin », Climate Focus, novembre 2022.
- ⇑Global Witness, « Total Systems Failure: Expositing the Global Secrecy Destroying Forests in the Democratic Republic of Congo », Rapport, 26 juin 2018.
- ⇑ Bob Koigi, « Illegal Chinese Timber Business is Devastating Africa’s Forests », Fair Planet, 5 septembre 2018.
- ⇑ Sam Lawson, « Illegal Logging in the Republic of Congo », EERP Paper 02, Chatham House, avril 2014
- ⇑ Oluwole Ojewale, « Balancing Protection and Profit in the Congo Basin », ISS Today, Institute for Security Studies, 14 mars 2023.
- ⇑ Ian Mitchell et Samuel Pleeck, « How Much Should the World Pay for the Congo Forest’s Carbon Removal ? », Center for Global Development, 2 novembre 2022.
- ⇑ The Program on Forests (PROFOR), « Understanding the Forest-Water Interactions in the Congo Basin », 16 juin 2024.
- ⇑ Thomas Sibret, Marijn Bauters, Emmanuel Bulonza, Lodewijk Lefevre, aolo Omar Cerutti, Michel Lokonda, José Mbifo, Baudouin Michel, Hans Verbeeck, et Pascal Boeckx, « CongoFlux – The First Eddy Covariance Flux Tower in the Congo Basin », Frontiers in Soil Science 2 (2022).
- ⇑ PROFOR.
- ⇑ WildAid, « Le bassin du Congo est menacé – Voici pourquoi nous devons agir maintenant », 29 mars 2023.
- ⇑ Richard Eba’a Atyi, François Hiol Hiol, Guillaume Lescuyer, Philippe Mayaux, Pierre Defourny, Nicolas Bayol, Filippo Saracco, Dany Pokem, Richard Sufo Kankeu et Robert Nasi, eds, Les forêts du bassin du Congo : État des Forêts 2021 (Bogor : Center for International Forestry Research (CIFOR), 2022), 3-35.
- ⇑ WildAid.
- ⇑ Charles Doumenge, Florence Jeanne Sarah Palla, et Gervais Ludovic Itsoua Madzous , eds, Aires protégées d’Afrique centrale – État 2020 (Yaoundé : OFAC-COMIFAC, 2021).
- ⇑ Hein de Wilde, « How Satellite Data Is Used to Deforestation », Meteory (Blog), 19 septembre 2023.
- ⇑ Kelley Hamrick, Kim Myers et Alice Soewito, « Beyond Beneficiaries : Fairer Carbon Market Frameworks », The Nature Conservancy, 2023.
- ⇑ Charles Doumenge, Quentin Jungers, Claire Halleux, Lyna Bélanger, et Paul Scholte, « Which Regulations for Land-Use Conflicts in Rural Parts of the Congo Basin ? » dans Denis Pesche, Bruno Losch, et Jacque Imbernon, eds, A New Emerging Rural World: An Overview of Rural Change in Africa, Atlas for the NEPAD Rural Futures Programme, 2nd Edition, NEPAD Agency (2016), 50-51.
- ⇑ National Whistleblower Center, « Deforestation in the Congo Basin Rainforest ».
- ⇑ Denis Mahonghol et Chen Hin Keong, « Improving the Governance of Cameroon’s Timber Trade », in Tropical Forest Update 27, n°2, International Tropical Timber Organization (2018), 7-10.
- ⇑ Constant Momballa-Mbun, Allen Mgaza, Camilla Floros et Chen Hin Keong, « An Overview of the Timber Traceability Systems in the Congo Basin Countries », TRAFFIC-Afrique centrale, 2023.
- ⇑ National Whistleblower Center.
- ⇑ Global Witness, « Crisis in the Congo », article, 20 juin 2024.
- ⇑ Emilia Díaz-Struck et Cecile S. Gallego, « Beyond Panama : Unlocking the World’s Secrecy Jurisdictions », Consortium international des journalistes d’investigation, 9 mai 2016
- ⇑ Global Witness, « Près de 2 000 défenseurs de la terre et de l’environnement tués entre 2012 et 2022 pour avoir protégé la planète », communiqué de presse, 13 septembre 2023.
- ⇑ David Mora, « Press and Planet in Danger: Safety of Environmental Jornalists; Trends, Challenges and Recommendations », World Trends in Freedom of Expression and Media Development Brief, UNESCO, 2024.
- ⇑ Marie-Ange Kalenga, « Ending Corruption, Improving Forest Governance: Why It Matters », Fern, 11 décembre 2019.
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- ⇑ Manuela Andreoni, « An ‘Elegant’ Idea Could Pay Billions to Protect Trees », New York Times, 7 octobre 2024.